Une source d’inspiration pour tous les entraîneurs
Que l’on soit entraîneur novice ou chevronné, observer les matchs du week-end constitue une mine d’inspiration continue pour forger une identité footballistique qui nous ressemble. Sur ce site, comme le montre ce plaidoyer à relire sans cesse, nous souhaitons analyser le travail des entraîneurs « protagonistes » et créatifs, afin d’aider les passionnés à affiner leur compréhension du football. À l’instar de l’Art, où l’on dit souvent que « les grands peintres prennent le temps d’observer les maîtres », il s’agit de mettre en lumière des séquences tactiques significatives, ainsi que des idées clés proposées par des entraîneurs professionnels. Après avoir exploré comment les défenseurs centraux peuvent soutenir les attaquants pour générer du déséquilibre, à l’image de Sheffield United, nous allons désormais examiner comment les attaquants peuvent s’investir pour construire des attaques, neutraliser le pressing adverse sans abandonner le ballon, et ainsi favoriser un football protagoniste. Illustrons cela avec l’exemple du match Juventus-Inter du 8 mars 2020 et de l’excellente performance de Gonzalo Higuain.
Comprendre le football protagoniste
Pour commencer, revenons sur la définition des termes à travers quelques éclaircissements. Le football dit « protagoniste » se définit comme une vision globale du jeu où l’entraîneur cherche à aller au-delà d’une analyse centrée uniquement sur les résultats. Comme le répète Marcelo Bielsa : « quand la productivité du résultat est le seul critère, l’opinion perd de sa valeur (…) Nous n’aurions plus besoin de conférences de presse car il n’y aurait plus de sujets à débattre. » Dans le monde impitoyable du football professionnel, l’entraîneur « protagoniste » ne se présente pas forcément comme le meilleur, ni comme détenant « la vérité », mais se distingue par son courage, aspirant à la victoire tout en préservant le style de jeu. Ainsi, l’entraîneur qui soutient un football construit cherche à susciter des émotions à travers le jeu. Il souhaite être jugé sur ses intentions créatives et sur la capacité de ses joueurs à offrir un football harmonieux et audacieux, promouvant une créativité collective qui ravit les supporters comme les observateurs « neutres ».
En résumé, le terme « beau jeu » est trompeur, car il nous enferme dans le débat subjectif du « beau ». Disons plutôt que nous parlons de « football construit », qui s’articule autour de la maîtrise du terrain et du ballon, s’appuyant sur la technique et l’intelligence, tout en témoignant au spectateur que la victoire peut être méritée. Ce type de football s’oppose ainsi à la spéculation. Pour conclure, Marcelo souligne : « Quand vous n’avez pas le ballon, vous avez un objectif. Savez-vous quel est cet objectif ? (…) La réponse est que l’équipe sans ballon ne se trompe pas. Voilà la véritables raison. Naturellement, jouer implique de bien réaliser les gestes. Mais aujourd’hui, vous avez l’autre option : profiter de l’erreur. Quel est le risque ? Que les spectateurs changent de sport. »
Analyse des mouvements de Gonzalo Higuain : sortir du pressing adverse
Lors de cette rencontre entre la Juventus et l’Inter, les deux équipes ont aligné presque toute leur force. Très peu de blessures parmi les joueurs et les deux coaches ont opté pour leurs systèmes habituels : le 3-5-2 de Conte et le 4-3-3 de Sarri (malgré quelques variations de joueurs). Ce match, remporté 2-0 par la Juventus, présente un rapport de force intrigant, masqué par le score final : la Juve a fait face à une majorité de temps forts de l’Inter. Dans ce derby d’Italie, les joueurs de Conte ont exercé un pressing agressif et haut qui leur a permis de récupérer le ballon à de nombreuses reprises. Ils ont également démontré leur maîtrise de la largeur et de la profondeur, en exploitant la zone de finition pour orchestrer des combinaisons autour de Martinez et Lukaku.
Face à un tel plan de jeu, la Juventus a fait preuve de résilience. Les Bianconeri ont tenté de déployer un pressing dans le camp adverse dès que les Nerazzurri étaient en phase préparatoire. Sarri a clairement évité de soumettre ses joueurs à un plan de jeu restrictif en réponse au pressing de l’Inter, visant à allonger le jeu et à jouer les deuxièmes ballons, ce qui ne correspondait ni à ses convictions ni aux qualités de ses joueurs. Il s’est donc appuyé sur l’implication de ses attaquants dans les offensives, notamment Gonzalo Higuain. Bien qu’il n’ait pas marqué, l’Argentin a illustré comment un attaquant peut contribuer à alléger la pression pour fluidifier le jeu. Il s’est brillamment mis au service du collectif. Dans ce match, il démontre comment passer d’une phase de pressing à une attaque favorable grâce à des mouvements intelligents.
(Face aux 5 joueurs de l’Inter en pressing, le gardien polonais choisit de jouer par-dessus cette ligne pour trouver Alex Sandro.)
(Alex Sandro, confronté au pressing adverse, reçoit le soutien de Cristiano Ronaldo et Higuain qui viennent décrocher pour se connecter au jeu.)
(Au-delà de leurs qualités techniques, Cristiano et Higuain ont rapidement trouvé une compréhension mutuelle. L’Argentin anticipe déjà, avant d’exécuter le « une-deux », qu’il se déplacera dans l’espace laissé libre par son partenaire.)
(Le une-deux, combiné à des déplacements pertinents, permet de décaler la défense et d’attaquer l’espace disponible.)
(Higuain avance avec le ballon face à une défense qui recule. La situation de centre est très favorable avec un 2 contre 2 à exploiter dans la surface.)
Bien que les pré-requis techniques semblent majeurs, on pourrait penser que ces enchaînements sont inaccessibles pour la plupart des équipes, mais il faut nuancer en considérant la qualité de l’adversité. Ces mouvements restent possibles grâce à « un déplacement » et une « intention » d’apporter sa contribution au jeu de l’équipe même en étant considéré comme un « finisseur ». Raynald Denoueix avait déjà résumé le football par « le plaisir de se comprendre ».
L’attaquant qui participe au jeu doit également servir de relais pour frapper vers l’opposé :
(Tandis que tous les milieux de terrain bianconeri sont marqués en individuel, Higuain a repéré l’espace libre laissé par ce marquage et se positionne pour recevoir une passe d’Alex Sandro.)
(La science tactique du joueur se manifestant en une seule passe : sous la pression de son vis-à-vis, il oriente avec une touche hors de la densité à l’opposé.)
(Cette passe éclaire non seulement l’ensemble du bloc de la Juve, mais offre aussi à Cuadrado une belle opportunité pour avancer. Le rapport de force est inversé.)
Sur une situation suivante, Higuain montre comment deux déplacements sans ballon peuvent faire toute la différence entre un ballon rendu et une action bien construite :
(Bien que les passes courtes semblent à nouveau bloquées par les Nerazzurri, Higuain déclenche un premier appel en se déplaçant vers une zone libre.)
(Il n’est pas servi par Bonucci, mais le numéro 21 se projette déjà dans l’action suivante. En effet, Alex Sandro va le servir, ce qui permet d’attirer l’adversaire. Inévitablement, cela libère un espace.)
(Higuain s’infiltre donc dans cet espace libre, tandis que Bonucci le trouve avec une belle passe par-dessus.)
(Le positionnement est parfait, digne d’un géomètre : il se place idéalement derrière la première ligne des hommes de Conte tout en étant assez bas pour semer le doute chez De Vrij, encerclé en rouge, sur la nécessité de suivre ce mouvement. Tous ces éléments favorisent à Higuain le temps nécessaire pour contrôler et orienter le jeu.)
Savoir exploiter un espace disponible laissé par un partenaire est une chose, mais en créer pour les coéquipiers en est une autre :
(Alex Sandro fait face au jeu, Matuidi à ses côtés initie une projection tandis que Gonzalo Higuain se propose en décrochant dans l’intervalle entre les deux joueurs de l’Inter.)
(L’attaquant turinois, conscient d’être suivi, laisse s’exprimer sa compréhension des mouvements : s’il est marqué, il sait que l’espace libre se trouve dans son dos, il remarque aussi Matuidi lancé, regardant le jeu avec un temps d’avance sur son défenseur, ce qui lui fait comprendre qu’une remise en une touche créerait un décalage. C’est ce qui se produit.)
(Malheureusement, Matuidi gère mal ce moment : au lieu de profiter de son avance sur Eriksen, moins rapide, pour fixer Bastoni en 2 contre 1, il joue en une touche, rendant donc la situation plus lisible pour le défenseur nerazzuri. La déviation d’Higuain n’est pas valorisée autant qu’elle aurait pu l’être.)
Enfin, sur le second but de la Juventus, souvent mis en avant pour la classe du, enchaînement de Dybala, il ne faut pas oublier le rôle crucial d’Higuain au début de l’action :
(Cette séquence débute mal lorsque Alex Sandro reçoit un ballon complexe de son gardien sous le pressing de l’Inter. Il choisit de dégager.)
(Ce dégagement aurait pu offrir une opportunité offensive supplémentaire aux hommes de Conte, mais grâce à la belle lecture du jeu d’Higuain, ce ne sera pas le cas : étant en retard, il sait qu’il ne pourra pas aller au duel et anticipe sur le second ballon.
(Cette anticipation lui permet d’être le premier à la retombée du ballon, posant celui-ci au sol via un relais avec Matuidi.)
(Matuidi joue en une touche pour Cristiano, qui lui-même revient en relais. Il cherche ensuite Betancur dans une position idéale.)
(Ce mouvement ouvre la voie à d’autres talents, et Dybala, suite à un contrôle orienté, parvient à combiner avec Ramsey et finit par marquer d’un extérieur du pied savoureux.)
Si l’Inter perd ce match et pourrait ne pas revenir dans la course au titre, c’est certes en grande partie grâce à la classe de Dybala, mais il ne faut pas perdre de vue l’apport déterminant de Gonzalo Higuain pour le jeu des Bianconeri, qui a brillé par sa clarté d’esprit face à la tactique féroce des hommes d’Antonio Conte.
Conclusion
Pourquoi est-il si crucial d’engager les attaquants dans la phase offensive pour promouvoir un football protagoniste ? Dans une époque où toutes les grandes équipes adoptent un certain type de pressing (rappelons que ce terme est bien plus nuancé qu’il n’y paraît), savoir comment y faire face devient essentiel pour gagner des matchs. Nous avons examiné avec l’Atalanta une des manières de s’y prendre, puis avec le Leeds de Bielsa, le rôle que peut jouer le gardien dans une telle dynamique, et ici, nous soulignons l’importance des attaquants pour affronter l’agressivité des adversaires. L’attaquant, grâce à ses déplacements et sa maîtrise technique, peut servir de point de référence pour réaliser des « appuis-remises », des déviations ou simplement pour attaquer la profondeur face à un bloc défensif haut. Si le futur du football semble s’orienter vers la polyvalence et l’implication de tous les joueurs à chaque phase de jeu, en d’autres termes, si nous nous dirigeons vers un « football cyborg », il devient crucial pour tous les entraîneurs, quel que soit leur niveau, de développer les compétences des attaquants pour qu’ils demeurent toujours en phase avec le jeu et aptes à aider l’équipe dès lors que la balle quitte les pieds du gardien. Et vous, comment envisagez-vous l’attaquant moderne dans deux décennies ?

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