Aujourd’hui, tout comme par le passé, les clubs français rencontrent des difficultés à se lier à une identité de jeu profondément ancrée dans l’histoire. Nous nous interrogeons toujours sur le club français qui pourrait devenir une référence tant sur le plan national qu’européen, soutenu par des titres. Effectivement, en dehors des fervents supporters, qui désire revivre les matchs de l’Olympique de Marseille de 1993, malgré leur ascension en haut de l’Europe ? Qui se réclame de l’héritage de Raymond Goethals ? L’Olympique Lyonnais s’affirme, sans conteste, comme un modèle français à l’échelle européenne. Cependant, malgré son immense domination durant les années 2000, ainsi que la qualité de sa formation, peut-on identifier une référence de jeu qui se dégage de cette équipe dans son histoire récente ? Qu’en est-il du grand Saint-Etienne des années 70 ? Aborder cette question, semble bien futile pour certains passionnés pour qui seules les lignes de palmarès sont déterminantes, mais c’est également une plongée dans les profondeurs de notre football. Dans les entrailles de cette grande machine, une lumière jaune brillent : c’est celle du FC Nantes ! Tous les amateurs de football savent que ce club est renommé pour son identité de jeu emblématique, le fameux « jeu à la nantaise », reconnu par les « tarifs maison », sous l’impulsion du grand Jean Claude Suaudeau. Mais que représente vraiment cette expression, souvent vue à travers un prisme positif d’émotion et de spectacle, mais souvent mal comprise ? Est-ce juste un concept médiatique sans substance ? À travers les deux saisons de 1994-1995 et 1995-1996, Beautyfootball s’efforce de revenir à la véritable essence de ce football qui a marqué les esprits, sans qu’on puisse vraiment le définir de nos jours.
N.B : Si c’est votre première visite sur le site, n’oubliez pas de consulter mon « idée clé » qui est essentielle pour comprendre l’ensemble du contenu. Vous ne le regretterez pas !
Composition et animation
Au cours des saisons 1994-1995 et 1995-1996, l’équipe de Jean Claude Suaudeau a connu peu de changements, notamment au niveau de sa base solide. Une quinzaine de joueurs ont tourné et deux départs notables sont à signaler entre 1994 et 1996 : Patrice Loko et Christian Karembeu.
Saison 1994-1995
Saison 1995-1996
Cette stabilité de deux saisons constitue l’un des principaux ingrédients du succès. Le groupe vit harmonieusement et la « cellule du milieu » selon Suaudeau, pérennise les consignes : « C’étaient 5-6 joueurs, au milieu, qui entraînaient les autres. Ceux-là, on ne les choisissait pas n’importe comment. Ils étaient les garants de nos principes, et j’étais très exigeant avec eux. » (La plupart des citations de Jean Claude Suaudeau proviennent de l’excellent magazine Vestiaires, numéro 64 de mai-juin 2015 et d’un entretien exceptionnel avec l’entraîneur). De plus, la majorité des joueurs sont au club depuis leur adolescence, leur permettant d’être pleinement imprégnés des principes de l’école de formation nantaise.
Il est important de rappeler que l’association du « jeu à la nantaise » à l’ère de Jean Claude Suaudeau ne doit pas occulter le vaste héritage laissé par José Arribas, le premier entraîneur du FC Nantes lors de son arrivée dans l’élite, où il est devenu champion dès la deuxième saison (1964-1965). Jean Claude Suaudeau, ancien joueur d’Arribas, garde en mémoire cet héritage qu’il a transformé : « J’ai eu la chance de travailler sous ses ordres, puis de le côtoyer en tant qu’entraîneur, lui en pro, moi chez les jeunes. José représentait la répétition des gammes. Les passes, le jeu sans ballon et la notion de collectif étaient déjà présents à cette époque. » Les années 60-80 sont également le moment où se structure le embryon du centre de formation, avec l’entrée de personnalités importantes comme Robert Budzynski ou Jean Vincent.
Établir ces éléments de contexte est essentiel pour saisir l’histoire de cette équipe entre 1994 et 1996 et leurs épopées extraordinaires en championnat et en Ligue des Champions.
Note au lecteur : Étant donné que nous analysons des matchs datant de plusieurs années, la qualité des vidéos et des images sélectionnées peut ne pas être optimale. Merci pour votre compréhension. Nous tenons à remercier également le support footballia.net sans qui cette étude ne serait pas possible.
L’obsession du but du FC Nantes : verticalité et prise de risque au service du collectif
L’une des erreurs fréquentes concernant le FC Nantes de 1995, étiqueté « jeu à la nantaise », est de l’associer de manière étroite à un style de jeu commun du « beau football », c’est-à-dire celui d’un jeu de possession ou pire, celui du jeu de position popularisé en Espagne, notamment à Barcelone. Si le FC Nantes contribue à enrichir le débat sur le « beau jeu », il le fait en soulignant qu’il existe plusieurs manières de pratiquer du beau football. Le « beau jeu » est d’abord un football protagoniste, créant des émotions chez les spectateurs, témoins d’exploits techniques surprenants réalisés par des joueurs en harmonie, opérant dans un espace restreint et sous pression de temps. En effet, même si Jean Claude Suaudeau partage une passion indéfectible pour la passe et le développement d’un QI football, l’animation de son équipe sur le terrain ne ressemble en rien à une secte du « Tiki-taka ». Pour lui : « garder le ballon le plus longtemps possible, c’est une maladie du jeu d’aujourd’hui. » (Ce discours est issu du dossier So Foot sur le FC Nantes de 1995, auquel vous pouvez accéder ici : www.sofoot.com/nantes-1995-les-canaris-de-coco-201910.html).
Le constat est limpide à l’écran : techniquement, son effectif présente des disparités. Entre l’élégance d’un Japhet N’Doram et la fougue d’un Capron, il y a un monde. Christian Karembeu soutient ce point : « Techniquement, nous avions du retard, nous devions surprendre. ». Le déchet technique de cette équipe lorsqu’elle possède le ballon est effectivement très frappant. Mais Jean Claude Suaudeau a saisi : le déchet technique est-il si problématique lorsque chaque joueur passe en moyenne 2 minutes en possession du ballon et 88 minutes sans ? C’est pourquoi, il s’élève à l’idée de créer des échanges de passes simples, tout en valorisant une grande qualité de ce groupe : leur capacité à réaliser et multiplier les courses pertinentes au moment opportun et à l’endroit adéquat ! Comme il l’affirme : « la simplicité c’est du génie (…), À Nantes, l’équipe avait une grande aptitude à la course (…) nous nous reposions sur un gros potentiel aérobie (…) au niveau de la vitesse, des changements de rythme, du pressing, du jeu sans ballon, c’était sensationnel. Nous réalisions de courtes séquences mais d’une intensité incroyable. » Toutes ces idées marquantes se traduisent clairement à l’écran, notamment lors de l’analyse de plusieurs séquences comme les sorties de balle.
(Casagrande dans les buts a récupéré le ballon. Il pourrait choisir de relancer court avec son coéquipier qui s’est proposé sur le côté. Il privilégie souvent la solution longue).
(Le 4-3-1-2 de Suaudeau permet de proposer de nombreux joueurs dans l’axe, proches les uns des autres. En raison de leurs qualités physiques, ils peuvent récupérer un grand nombre de ballons dans les airs ou à la retombée. Ici, les 3 Nantais remportent le duel dans leur cœur du jeu contre les 3 Monégasques. Patrice Loko anticipe et se prépare à attaquer l’espace).
(Loko a intelligemment ajusté sa course pour réaliser un appel plus efficace qui lui permettra de recevoir la passe de Cauet. Il s’est déporté dans l’angle mort des défenseurs qui peinent à suivre du regard le porteur de ballon et Loko dans leur ombre. L’attaquant nantais est en position idéale pour créer le danger. Effectivement, en 3 passes, Loko se retrouve confronté au gardien adverse).
Cependant, une équipe parvenant en demi-finale de la Ligue des Champions n’est pas réellement maladroite avec ses pieds :
(Le Dizet capte le ballon côté gauche et cherche une solution au sol sans sauter de ligne.)
(Le Dizet a réussi à trouver Ferri dans l’axe, qui contrôle et se prépare à passer à Makélélé, malgré la pression insistante de son adversaire.)
(Makélélé est face au jeu dans l’axe. N’Doram parvient à se démarquer grâce à un léger décroché non suivi par l’opposant. À ses côtés, Ferri, au départ de l’action, continue sa course pour occuper l’espace libre devant lui.)
(À travers les mouvements combinés réalisés au bon moment, associés à une solide qualité technique, N’Doram peut remettre en une touche à Ferri, qui se retrouve seul pour attaquer l’espace et créer une opportunité de but.)
Ceux-ci, autour de leurs leaders techniques, Japhet N’Doram et Raynald Pedros, sont capables de décliner les sorties de balle, proposant ainsi un jeu fluide et au sol. Cette séquence illustre également brillamment quelques principes fondamentaux de l’entraîneur comme la permutation et le démarquage. Par exemple, Makélélé se retrouve ici plein axe, alors qu’il a plutôt l’habitude d’occuper le couloir droit. Pour Suaudeau, cela n’a pas d’importance : « Lorsque j’ai pris l’équipe, j’ai beaucoup insisté sur cette capacité à changer de rôles. Bien que nous ayons des positions de départ qui servaient de repères, nous évoluions librement ensuite. » Par ailleurs, nous remarquons aussi à l’écran que Ferri, grâce aux déplacements collectifs, attaque un espace libre, notion fondamentale travaillée à l’entraînement : « Très peu cherchent à être un leurre, découvrant un espace pour qu’un partenaire puisse y entrer et mieux le recevoir. Recherche du joueur libre ? Non. Recherche du joueur lancé ? Non. C’est recherche du joueur lancé dans un espace libre ! »
De surcroît, le déchet technique important qui étonne parfois sur les écrans découle également de la volonté constante de jouer vers l’avant, en une touche, d’attaquer les espaces à plusieurs, donc de garder le ballon autant que possible dans le camp de l’adversaire. Le moment idéal pour mieux agresser, tout l’opposé de ce que l’on peut observer chez City de Guardiola ou Chelsea de Sarri, qui tentent d’attirer l’adversaire près de leurs gardiens pour mieux déstabiliser. Encore une fois, faire un lien entre le « jeu à la nantaise » reconnu pour son spectaculaire théâtre et les séquences impressionnantes du football contemporain serait anachronique.
Cependant, les attaques placées sont également minutieusement exécutées :
(Le Dizet effectue une touche plein axe pour Ferri, hors champ, qui s’apprête à attaquer le ballon. Deux joueurs de la Juve sont sur le qui-vive.)
(Ici, Ferri joue parfaitement le coup, puisqu’il attend le dernier moment pour fixer son adversaire et ainsi libérer Gourvennec, seul dans l’axe. À noter la position du corps du futur receveur, quasiment en ¾, afin de gagner du temps sur son contrôle et valider un éventuel décalage.)
(Grâce à l’appel de Ouédec entre le défenseur latéral entouré en rouge et le défenseur central, hors champ, le FC Nantes réussit à réaliser un premier décalage dangereux).
(Par son appel intelligent entre le latéral et le défenseur central, ici entouré en rouge, il se joue de ces deux adversaires suite à la passe de Gourvennec. C’est l’occasion d’un tir dans les buts de Peruzzi).
Les Nantais sont également capables, lorsqu’il le faut, de contourner les blocs défensifs adverses en les attirant d’un côté pour mieux les déstabiliser de l’autre. L’exemple est ici marquant :
(Ferri vient de recevoir le ballon dans l’axe et, après avoir gagné quelques mètres, décide d’écarter sur Le Dizet.)
(Le Dizet remet à Ferri qui poursuit son action, alors qu’il dispose encore d’un peu de temps avant d’être agressé par le milieu de la Juventus.)
(Ferri absorbe la pression et élimine son adversaire d’un superbe crochet.)
(Après avoir transpercé une ligne, il s’en va exercer sa pression sur un deuxième adversaire et joue en appui avec Ouédec qui le sert en une touche.)
(Ferri remet à Ouédec qui lui a précédemment servi d’appui. Grâce à son décrochage et son jeu en remise, il a pu se retrouver face à au jeu. Il est alors temps de mener à bien le décalage.)
(Alors que Pedros s’est recentré pour libérer de l’espace dans son dos à son latéral Chanelet, tout semble réuni pour obtenir une belle occasion de but sur cette attaque placée : malheureusement, la passe de Ouédec vers l’espace ne sera pas effectuée au bon moment et conduira à un hors-jeu de Chanelet).
Tout comme cette attaque menée, les Nantais sont bien capables d’exceller dans ce registre pour se présenter le plus souvent possible dans la surface adverse. La participation des latéraux favorise de multiples centres. La présence de nombreux joueurs dans l’axe grâce au losange du 4-3-1-2, combinée aux fréquentes montées des milieux, permet de créer une multitude d’opportunités de tir à 20 mètres.
L’analyse du jeu pratiqué par les acteurs du Pays de la Loire révèle qu’ils possèdent très souvent un temps d’avance sur leurs adversaires. Ce temps d’avance, conjugué à la quantité de joueurs impliqués dans le jeu sans ballon, grâce à des appels dans le vide qui mettent en difficulté l’adversaire, permet la création d’innombrables occasions de buts. La connaissance mutuelle des partenaires constitue l’une des clés de ce « jeu à la nantaise ». Qui mieux que Serge le Dizet pour le confirmer : « Je pense que je faisais simplement partie d’une équipe tournée vers l’avant. Un des mots essentiels qu’on nous répétait, c’était l’anticipation. (…) Mon mantra, c’était, comme le disait Jean Claude Suaudeau : avoir un temps d’avance dans la réflexion, et donc un temps d’avance dans la mise en œuvre. Cela fonctionnait aussi bien en défense qu’en attaque. On avait une telle connaissance des partenaires… On savait ce qu’ils allaient faire dans toute situation. Comme nous étions bons techniquement et physiquement, nous étions plus rapides que l’adversaire. Lorsque je voyais Patrice Loko demander le ballon à gauche, je lui adressais à droite, par exemple. Parce que je savais que lorsqu’il partait à gauche, il la voulait à droite. Ce sont des choses qui se répètent, qui se travaillent. Pour moi, le jeu à la nantaise, c’était avant tout de l’intelligence collective. » (Pour l’interview complète de Serge Le Dizet, rendez-vous ici : https://www.sofoot.com/le-dizet-le-jeu-a-la-nantaise-c-etait-du-bonheur-433729.html)
Cette intelligence collective trouve également son expression dans la phase défensive et lors des transitions, qui sont les situations où les Nantais brillent le plus.
La phase défensive du FCNA : asphyxier et se projeter
« L’état d’esprit d’une équipe se révèle par sa façon de récupérer le ballon. C’est ici que l’on perçoit sa mentalité, son engagement, sa réflexion… » Pour Jean Claude Suaudeau, cette phase de jeu est au moins aussi cruciale que l’offensive. Là encore, il s’appuie d’abord sur les ressources de ses joueurs : un volume de course impressionnant partagé par tous, une implication collective et surtout un sens aigu de l’anticipation pour jaillir dans les pieds de l’adversaire et entamer une contre-attaque immédiatement.
Globalement, Jean Claude Suaudeau exige de son équipe un équilibre entre des séquences de pressing haut et des séquences plus en retrait, qui consistent à attirer l’adversaire vers l’axe, où la densité de joueurs nantais est plus importante, ce qui permet de repartir très rapidement vers l’avant, dans le dos des adversaires.
(Sur cette image, Ferri encadre l’adversaire tandis que ses coéquipiers se rapprochent pour l’emprisonner. Dans le 4-3-1-2, les 7 joueurs de devant sont très compacts, tandis que les joueurs offensifs sont positionnés plus haut pour orienter les passes vers l’intérieur, sans forcément revenir très bas).
(Une illustration de la polyvalence défensive du FCN. Si la situation l’exige, ils sont capables d’ajuster le 4-3-1-2 en un classique 4-4-2 à plat pour mieux occuper la largeur.)
(8 défenseurs nantais se regroupent dans un petit périmètre autour de la surface de réparation. Makélélé est à l’origine de l’attaque rapide, et lance immédiatement Benoit Cauet.)
(Cauet remonte le ballon sur plusieurs mètres, alors que la défense portugaise recule : c’est la situation parfaite pour les joueurs nantais. Ces derniers se projettent avec plusieurs joueurs, notamment Pédros, qui joue le rôle d’attaquant. Il attaque parfaitement l’espace entre le latéral et le défenseur central. Cauet peut lui faire une passe décisive.)
(Dans cette situation, Pedros est presque inarrêtable. En 1 contre 1 face au défenseur portugais, il triomphe grâce à son contrôle de balle et s’en va défier Vitor Baia. But pour Nantes !)
« Les joueurs les plus proches du porteur devaient se positionner de manière à ce que d’autres récupèrent derrière dans les meilleures conditions. » Cette séquence illustre bien le principe clé de Coco Suaudeau, qui insistait sur la défense collective et la capacité de « repartir » derrière. Tous les joueurs offensifs sont de véritables spécialistes de la prise d’espace : ils savent où aller, quand y aller, et mettent toujours en avant leurs qualités de passes.
(Sur un corner, un défenseur écarte le ballon de sa surface et cherche Pedros, resté seul devant.)
(Pedros, face à deux joueurs portugais, réussit à conserver le ballon, et s’oriente rapidement vers le côté gauche. Son objectif : gagner du temps et attirer ses opposants à gauche, pour libérer l’axe.)
Objectif atteint, car cela permet à Kosecki d’attaquer l’espace libre, en rouge. La qualité technique du numéro 8 fait toute la différence, car c’est une passe entre les jambes de son vis-à-vis qui illumine le jeu)
(Kosecki se retrouve en situation de 1 contre 1 face au gardien alors que les joueurs de Porto sont complètement dépassés. À noter l’effort colossal de Makélélé qui se propose à ses côtés, alors qu’il vient de parcourir toute la longueur de son propre terrain.)
Cette obsession de la verticalité se manifeste dans toutes les attaques rapides. En 2 ou 3 passes, les attaquants nantais sont souvent dans d’excellentes dispositions. L’habileté technique fait le reste.
A l’image de son prédécesseur, José Arribas, Coco Suaudeau préfère que son équipe défende en zone, sans être pour autant « radical » sur ce point. Il n’est pas rare qu’il exige un marquage individuel dans certains matchs et face à certains joueurs. Le cas de Monaco et d’Enzo Scifo est un bon exemple de cette théorie :
(Enzo Scifo, l’un des maîtres à jouer de Monaco, évolue au cœur du jeu. Il est suivi par Makélélé, entouré, tandis que N’Doram est redescendu pour l’aider, et Loko a pris la place de Makélélé à droite.)
(Makélélé, qui normalement défend à droite ou au moins dans l’axe, se retrouve presque à gauche en tant que défenseur supplémentaire. Il a pour consigne de suivre Scifo comme son ombre. Ses coéquipiers n’oublient pas de compenser pour lui.)
Le marquage individuel concerne également souvent Eddy Capron, qui s’incorpore fréquemment jusqu’au milieu, car il suit souvent son vis-à-vis pour mieux jaillir devant lui lors de passes. Cette formule défensive d’un libéro, accompagné d’un stoppeur, n’a pas totalement disparu avec Suaudeau. L’alternance entre marquage individuel et zone permet de récupérer des ballons en tout point du terrain. Les attaques rapides sont tout aussi redoutables lorsqu’elles exploitent les côtés. Les projections des latéraux et les combinaisons qui en découlent peuvent causer de sérieux dommages aux défenses adverses. L’entraîneur avait une directive bien précise sur ces phases : « Je demandais à ce que la première touche après la récupération soit jouée vers l’avant, et si possible sans contrôle. »
(Cauet récupère le ballon plein axe : il cherche immédiatement à jouer vers l’avant, comme le montre sa tête bien haute.)
(Il réalise un relais avec Ouédec qui décroche. Celui-ci peut servir Pignol qui commence sa montée.)
(Pignol cherche de nouveau dans l’axe pour Ouédec qui continue son action. Gourvennec laisse passer le ballon avec sagesse. Une fois de plus, chaque passe d’un Nantais est suivie d’un appel en avant, d’une prise d’espace, comme Pignol qui poursuit son action.)
(Ouédec le sert dans la course pour conclure l’action dans la surface adverse. Gourvennec et Kosecki sont déjà en mouvement pour occuper l’aire de réparation.)
La coordination et la multiplication des mouvements rendent le jeu nantais très difficile à décrypter pour l’adversaire. Les célèbres « passe et va » et « passe et suit » sont exécutés à la perfection par des joueurs qui ne se déconnectent jamais du jeu. Tous savent prendre leurs responsabilités. D’autant plus que le FCN ne se contente pas d’attendre indéfiniment son adversaire en bloc médian. Ce collectif sait également aller « chasser haut » et mettre la pression sur les relanceurs adverses.
(Pedros et Kosecki initient un pressing sur les deux défenseurs centraux portugais, tandis qu’ils sont couverts par Cauet juste derrière eux.)
(Le passe côté d’un défenseur de Porto permet à d’autres milieux de terrain d’accompagner leur première ligne. Ils essaient de cadrer les joueurs de Porto, tentant notamment de les empêcher de pénétrer vers l’intérieur, balle au pied.)
(Ce faisant, ils obligent les Portugais à effectuer une passe négative vers l’arrière, qui s’avère en plus déficiente techniquement. Pedros tente d’en profiter pour subtiliser le ballon. Une grosse occasion s’annonce.)
Le volume de course impressionnant des milieux tels que Makélélé, Karembeu, Cauet et d’autres leur permet, lors d’un sprint, de partir de l’axe droit ou gauche pour aller à la rencontre du latéral adverse dans son camp. Celui-ci est souvent pris par surprise et poussé à l’erreur technique.
Parfois, le regard anachronique d’un spectateur de 2018 pourrait faire le lien entre certaines séquences défensives nantaises et un préambule du « contre-pressing » cher à Jurgen Klopp et à l’école allemande d’entraîneurs. Effectivement, lorsque Nantes évolue avec beaucoup de joueurs dans les 40 mètres adverses, il n’est pas rare d’observer en direct les 3 phases typiques du fameux « gegenpressing » : un premier pressing pour récupérer le ballon chez l’opposant, la réalisation d’un circuit en une touche risqué, souvent conduisant à un regain du contrôle par l’opposant, et enfin un nouveau pressing immédiat des Nantais autour de l’adversaire, qui pense justement pouvoir se projeter en contre-attaque. Contrecarrer la contre-attaque et laisser s’ouvrir d’immenses espaces est également un art dans le bloc défensif nantais. Coco Suaudeau semble offrir quelques pistes pour corroborer cette observation : « Il nous arrivait, lors des attaques dites « placées », de donner délibérément le ballon à l’adversaire, sans qu’il s’en aperçoive, mais sur un joueur ou une zone bien précise du terrain, de sorte que le contrôle ne soit pas évident à réaliser… Et là, un signal se met en place, on se jette dessus… »
Conclusion
Le Paris Saint-Germain d’aujourd’hui, en quête de tous les records pour devenir la référence footballistique française, a encore du chemin à parcourir. Le club parisien n’a pas réussi à atteindre le même niveau que leurs homologues de Bretagne en Ligue des Champions, n’étant pas parvenu à se hisser jusqu’au dernier carré. De plus, nul n’a encore réussi à rester invaincu pendant 32 matchs sur une saison entière. En somme, au-delà de ces légendes matérialisées par des chiffres, le FC Nantes de Jean Claude Suaudeau incarne principalement un style et un idéal de jeu qui lui sont propres, ainsi qu’à ceux qui l’ont précédé. Cette identité évoque un football basé sur la vitesse, la prise de risque et la simplicité, où la technique individuelle sert le collectif. Bref, un football courageux et intelligent. Mais, à l’image de la classe d’un Raynald Pedros, probablement passé à côté d’une carrière immense, l’animation de cette équipe reste peu connue du grand public. Jean Claude Suaudeau se montre très vite las : « chaque fois que l’on avait du succès, cela nous faisait mal. Dès que l’on obtenait de bons résultats, des joueurs partaient. (…) J’en suis finalement venu à me sentir désabusé. J’ai donc arrêté. » Aurait-il pu faire perdurer ses idées dans une autre ville ? Dans ce club, si unique dans le paysage hexagonal, son départ en 1997 ne signifie pas la fin de la fête. Coco a su préparer son héritage. Raynald Denoueix, alors responsable de la formation, prend les rênes de l’équipe première et réserve encore de belles émotions aux supporters ! En définitive, c’est peut-être Thibaud Leplat, dans son ouvrage Football à la Française, qui exprime le mieux ce que représente le FC Nantes de cette époque : « Nantes est le nom en France donné à une nostalgie profonde pour le temps où le football n’appartenait pas encore aux sociétés mondialisées, où la majorité des joueurs étaient formés au club (…) et pratiquaient un football valorisant le plaisir et la morale plutôt que l’argent et la réussite à court terme (…) Nantes incarne une nostalgie du temps présent.

Fan de foot depuis toujours, je prends plaisir à suivre les matchs et en discuter.
Quand j’ai un moment, j’écris tranquillement mes impressions et mes petites analyses.
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