13 mai 2012, la saison en Espagne touche à sa fin. L’Athletic Bilbao se positionne à la 10ème place avec 49 buts inscrits et 52 encaissés. Avec une différence de buts de -3 et l’absence de trophées, qu’est-ce qui pourrait inciter à s’intéresser à cette équipe dirigée par Marcelo Bielsa ? Est-ce simplement dû à la renommée de l’entraîneur argentin ? Ou est-ce que mettre en avant les propos de Bielsa implique nécessairement un débat, des réactions, et donc un intérêt pour les journalistes ? Beautyfootball cherche à démontrer, à l’aide de vidéos, que cette équipe a su captiver les amateurs de football grâce à son style de jeu. Bien qu’ayant perdu deux finales cette saison, le jeu pratiqué par Marcelo Bielsa et ses joueurs constitue un véritable cheminement pour quiconque s’intéresse au football protagoniste. Comme le petit poucet aidant ses frères, Marcelo Bielsa nous invite à poser des jalons pour s’extirper de la forêt sombre dominée par le pragmatisme des résultats. Dans un monde où la compétition sévit en maître, une autre voie est-elle envisageable ?
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Remerciements : Un grand merci à footballia.net, sans qui rien de tout cela ne serait possible. Les images proviennent du site ICONSPORT.FR. Cette analyse repose principalement sur la visualisation de nombreux matchs de Ligue Europa. Cet article s’inscrit dans la continuité du travail de Romain Laplanche, un des plus grands experts de l’entraîneur argentin en France.
Composition et animation de l’Athletic Bilbao
Lorsque Marcelo Bielsa prend les rênes d’une équipe, il s’emploie d’abord à définir les contours de son groupe sur lequel il s’appuiera tout au long de la saison. Il n’est pas adepte des rotations fréquentes. Ainsi, il se fonde sur un effectif d’environ quinze joueurs, avec des changements de formations réguliers. Toquero, San José, Ekiza, Ibai Gomez, et Iñigo Perez accompagnent les titulaires tout au long de la saison. L’objectif de ce groupe restreint semble clair : établir rapidement des liens techniques et socio-affectifs solides. Cette connaissance mutuelle permet d’avoir une longueur d’avance sur l’adversaire. Les enchaînements techniques en sont simplifiés, et les intentions tactiques parfaitement partagées. Un groupement soudé facilite également le surpassement des épreuves psychologiques d’une saison. Cependant, l’absence de « turn-over » pourra lui être reprochée, justifiant une éventuelle explosion physique de ses joueurs. Romain Laplanche s’est aussi penché sur cette question physique.
En 2011-2012, personne ne pouvait anticiper la carrière que connaitra J. Martinez, Llorente, Ander Herrera ou Muniain. Même si l’équipe ne regorge pas de stars, en Espagne, les observateurs admettent la qualité et le potentiel de cet effectif. Comment cela se matérialise-t-il sur le terrain ? Quelle est l’animation offensive, défensive, et les transitions pour l’équipe du technicien argentin ?
La phase offensive selon Bielsa : mouvements et dépassement de fonction pour multiplier les occasions
Se limiter au système de jeu pour appréhender l’animation offensive et défensive de l’équipe de Marcelo Bielsa serait une gageure tant celle-ci est « fluide ». À chaque phase du jeu, les joueurs sont appelés à assumer leurs responsabilités, à dépasser les contours notionnels de leur « poste ». Toutefois, lorsqu’un observateur admire les déplacements incessants des joueurs basques, il ne doit pas omettre l’ensemble du processus précédant cette animation effervescente.
Contrairement à certaines idées reçues, le technicien argentin n’applique pas sa philosophie dans une bulle, déconnectée de la réalité de son effectif. Avant même de rejoindre un club, il réalise un diagnostic exhaustif sur l’équipe et les joueurs qu’il encadre. C’est pourquoi il refuse d’entrer en cours de saison dans une structure ou visionne tous les matchs précédents avant de fouler les pelouses d’entraînement. Avant tout contact avec les joueurs, il connait les forces et faiblesses de chacun, et il sait déjà qu’il pourra mettre en œuvre sa philosophie s’il parvient à convaincre les joueurs, car ils possèdent les compétences nécessaires. Sinon, il refuse tout simplement de s’engager avec le club. Marcelo Bielsa n’est donc ni dogmatique, ni excessivement pragmatique : il a des idées et s’appuie sur un processus intelligent et cohérent pour les mettre en œuvre.
Quelles sont donc les qualités qu’aurait pu discerner l’entraîneur argentin au sein de son effectif ?
Il constate sans doute qu’il dispose d’une catégorie de joueurs relativement jeunes (environ 24 ans de moyenne d’âge). Ce fait a deux conséquences positives en lien avec sa vision du jeu : les jeunes joueurs sont souvent en forme physiquement et mentalement. Ils peuvent donc s’adapter, résister et progresser aisément à travers les entraînements exigeants qu’il propose. De plus, un effectif jeune est généralement plus « malléable » et plus réceptif aux principes d’un éducateur disposant d’exigences fermes car ils n’ont pas encore une expérience considérable avec d’autres entraîneurs du milieu professionnel.
Effectivement, il n’a pas faux sur ce point : Oscar de Marcos, Muniain, Iraola, Aurtenetxe, Javi Martinez, Susaeta et Ander Herrera ont tous un volume de jeu particulièrement élevé. De surcroît, les éloges post-carrière des joueurs attestent à quel point le fameux argentin a su convaincre à la fois par ses mots et ses actes. Dans l’ouvrage de Thomas Goubin, Marcelo Bielsa El loco unchained (Hugo Sport), Javi Martinez déclare : « Bielsa m’a beaucoup appris. Avec lui, j’ai compris le football d’une manière différente. Tout le monde devrait travailler avec lui au moins une fois dans leur vie. » Ander Herrera exprime un besoin d’aller plus loin : « C’est la personne la plus originale que j’ai rencontrée. C’est un entraîneur extrêmement exigeant qui ne se repose jamais. Sa capacité intellectuelle à analyser le football est incroyable. Ses entraînements diffèrent totalement, le contact avec le joueur est bien plus soutenu. »
Comment les qualités de ses joueurs s’harmonisent-elles avec les principes de jeu dans la phase de relance ? Il dispose de Gorka Iraizoz, le joueur le plus âgé parmi les titulaires. Capable et volontaire de son pied droit, il contribue au jeu au moment de relancer. Il est épaulé par trois joueurs essentiels à la réussite des relances : Amorebieta, Javi Martinez et Iturraspe (qui a pour mission de constamment s’intercaler).
Par principe, l’entraîneur argentin privilégie les relances propres par le jeu court pour ne pas céder le ballon aux adversaires. Cela aide également à les attirer afin d’ouvrir les espaces en profondeur. Avec le gardien et les trois joueurs précités, il dispose d’un arsenal technique et tactique adéquat pour appliquer ce projet. Il demande donc à Iturraspe de décrocher pour soutenir ses défenseurs et le gardien face aux attaquants adverses. Si l’opposant aligne deux attaquants, Bielsa proposera trois relanceurs. S’il y a un attaquant dans le secteur, deux relanceurs suffisent pour assurer une sortie de balle en toute confiance. Lors des relances, l’option principale est donc d’éviter de se précipiter, de faire circuler le ballon en quelques touches et de créer des supériorités numériques pour avancer (voir vidéo).
Notons l’importance fondamentale d’Iturraspe dans le schéma collectif basque. Le numéro 6 devant la défense n’est pas simplement un destructeur. Joueur d’une élégance et d’une intelligence remarquables, il sait se positionner au bon endroit et au bon moment pour fluidifier la circulation du ballon. Il affectionne les espaces entre le défenseur central et le latéral. Cela lui permet de faire monter ce dernier et de créer des occasions pour orienter le jeu sans être immédiatement harcelé. Parfois en leurre, il joue souvent un rôle clé dans la création de triangles reliant les latéraux et les joueurs de l’axe. D’ailleurs, il garantit aux défenseurs la sécurité pour s’avancer balle au pied. Enfin, lorsqu’il y a perte de balle, son sens de l’anticipation et son placement de qualité lui permettent fréquemment de récupérer un grand nombre de ballons sans avoir à exposer ses limites en vitesse. Joueur de l’Espanyol de Barcelone à présent, ses blessures ont probablement freiné la carrière qu’il aurait pu envisager. De nos jours, le rôle de Kalvin Phillips dans l’équipe de Leeds que dirige Bielsa est très proche de celui d’Iturraspe, comme l’a illustré un excellent article sur le site La vue tactique.
De plus, ayant constaté les compétences techniques de sa charnière et d’Iturraspe dans les passes courtes et moyennes, Marcelo Bielsa exige également qu’ils brisent les lignes par des passes verticales et précises. Pour permettre à un joueur plus avancé d’évoluer, les défenseurs n’hésitent pas à marcher balle au pied pour fixer (voir vidéo). Le coach basque n’oublie pas que le football appartient aux joueurs. L’ensemble des enjeux d’une animation efficace réside dans l’harmonie qui émerge entre les talents des joueurs et les convictions de l’entraîneur.
Comment ne pas relever les immenses qualités de Llorente dans le jeu aérien ? Il serait erroné d’assimiler Marcelo Bielsa à un entraîneur uniquement focalisé sur le jeu de passes courtes. Il utilise régulièrement et efficacement le jeu long sur Llorente, en pivot. Pour ce faire, il s’appuie sur le bon pied gauche d’Amorebieta. Lorsqu’il est en possession du ballon et dans une situation de tranquillité, le joueur basque se montre redoutable dans ce domaine. Javi Martinez s’impose également magistralement depuis le flanc droit. Cette alternative représente un atout solide face à tous les adversaires, qui ne savent jamais si les Basques optent pour un jeu court ou un jeu long.
L’analyse des relances de l’Athletic Bilbao révèle que les compétences de l’entraîneur ne se limitent pas à la tactique. En effet, au plus haut niveau professionnel, où l’erreur est durement sanctionnée, il parvient à convaincre les lions de prendre certains risques pour mettre les adversaires hors de position. En somme, l’étude précise de son sport a permis à Marcelo Bielsa de promouvoir certains principes comme étant les plus efficaces pour développer un football à la fois esthétique et efficient. Cependant, tout est intrinsèquement lié aux compétences des joueurs.
Les sorties de balle en vidéo :
Sorties de balle Bilbao Bielsa
Avant d’explorer les attaques placées des Basques, il est primordial de rappeler que le football est un tout. Bien que ce texte découpe le « beau jeu » en différentes phases, chaque partie doit toujours être reliée à l’autre. En effet, des attaques placées ne sauraient exister au sein d’une équipe incapable de conserver le ballon.
Cela étant posé, quels cheminements récurrents peuvent être observés dans cette phase ? Pourquoi Marcelo Bielsa reste-t-il attaché à ces principes avec ses joueurs ? En continuité avec l’argument précédent sur les ressources en jeu long de plusieurs joueurs, il est évident que les Rojiblancos privilégient l’alternance entre un jeu court dans une zone et un renversement dans une autre pour déstabiliser leurs adversaires.
L’Athletic Bilbao dispose avec Oscar de Marcos, Ander Herrera, Susaeta et Muniain de quatre milieux de terrain possédant une intelligence situationnelle, une technique individuelle et un volume de jeu remarquables. Hormis Ander Herrera, ils sont tous issus du Pays Basque, ce qui leur a permis de forger des automatismes et des relations techniques solides. Dès lors, Bielsa doit développer et structurer tout ce potentiel technique et tactique. D’abord, concernant l’occupation de la largeur, les joueurs ont conscience de leur positionnement à différents niveaux des couloirs.
(Ce plan large montre deux éléments : il y a une forte implication offensive avec cinq joueurs plus le porteur de ballon engagés dans la phase d’attaque. Les différentes zones du terrain sont intelligemment occupées.)
Que ce soit par les couloirs ou en pénétrant par le centre du terrain, des schémas similaires sont répétés (voir vidéo) : « passe et va », construction de triangles, projections, « appels-appâts » pour aider un partenaire à exploiter son espace.
(Cet instantané révèle la multitude d’options autour du porteur de ballon et la volonté constante de construire des triangles.)
Ces milieux de terrain possédaient déjà toutes les aptitudes requises pour mettre en lumière les idées de Marcelo Bielsa. Ce dernier a étoffé leur panel, presque mécanisé leurs déplacements tout en les contextualisant en fonction de l’opposition. Ce travail titanesque a débuté à Newell’s. Depuis lors, il n’a cessé de concevoir ses entraînements comme le souligne Renzo Ulivieri dans El Loco Unchained : « Pendant les matches, il analyse des situations récurrentes puis développe des exercices d’entraînement en lien avec ce qu’il a observé. Il cherche continuellement à se réinventer, il étudie sans relâche. Il ne se départit jamais de ses idées initiales. Bielsa est très apprécié car il désire constamment s’améliorer. » Noberto Scoponi, gardien de l’époque à Newell’s précise : « À Newell’s, notre groupe a été indélébilement marqué par le passage de Bielsa, car les exercices que nous réalisions étaient totalement novateurs, il n’y avait rien de semblable à l’époque, c’étaient des séances saturées de discipline et de tactique.
De plus, l’une des caractéristiques les plus marquantes du football de Bilbao en 2011-2012 est l’implication des latéraux dans la désorganisation de l’adversaire. Cette idée est récurrente dans les équipes de Bielsa. Déjà avec l’Argentine aux Jeux Olympiques de 2004, il accordait une grande liberté à ses pistons. Tandis que Susaeta et surtout Muniain aiment dézoner au milieu du jeu, les couloirs restent ouverts pour qu’Iraola ou Aurtenetxe puissent facilement en profiter.
Enfin, il est notable que la phase de finition et les coups de pied arrêtés semblent particulièrement travaillés par les joueurs basques. Sur le premier point, los leones démontrent qu’il ne suffit pas seulement de s’attarder sur les centres et les frappes à 20 mètres pour concrétiser une action. Les joueurs offensifs, notamment Muniain et Ander Herrera, excellent dans les passes délicates, dissimulées ou les ballons par-dessus, comme s’ils maître du temps dans les zones les plus imprévisibles. Ander Herrera, qui deviendra à Manchester United puis au Paris Saint Germain un joueur plus défensif, est devenu en 2011-2012 un passeur diaboliquement efficace dans les 16 derniers mètres, à l’instar d’un numéro 10.
Pour conclure, il convient de préciser que Fernando Llorente a réalisé la meilleure saison de sa carrière sous la houlette de Marcelo Bielsa. Avec 24 buts en 47 matches (il n’atteindra plus jamais ce record), il se révèle indispensable dans toutes les offensives des Rojiblancos. Son apport au jeu est crucial tant son profil est complet à cette époque. Il permet de gagner du terrain avec son jeu en soutien et il est capable de combiner dans des espaces réduits avec ses coéquipiers. Sa compréhension du jeu est décisive dans la surface, surtout lorsqu’il s’agit de réceptionner des centres. Ce qui est frappant, tant envers Llorente que ses coéquipiers, c’est leur capacité collective à jouer d’abord pour l’autre avant de penser à jouer pour eux-mêmes.
Les attaques placées et la phase de finition en résumé vidéo :
Responsabilisation individuelle et courses de rupture : deux symboles de la phase sans ballon et des transitions basques
« Sans aucun doute, Bielsa est le chef d’orchestre de cette formation, il est la raison pour laquelle nous en sommes là, il nous a fourni le style que nous jouons actuellement. » Cet orchestre, comme l’a mentionné Gorka Iraizoz, s’exprime également lors des pertes de ballon et dans toutes les phases de transition. Lorsque l’adversaire s’empare de la sphère, une règle prédomine de toutes les autres : le pressing extrêmement agressif. Pourquoi cette approche est-elle pertinente ici ? Les joueurs de Bilbao ne se distinguent pas par leur gabarit ou leur puissance. Attendre en défense ou gagner des duels face à des adversaires lancé n’est pas la stratégie que privilégie la majorité des joueurs basques. Or, Marcelo Bielsa a identifié ces points bien avant nous. Avec un onze titularisé principalement constitué de gabarits élancés, rapides et d’un volume de jeu important, ainsi qu’une forte intelligence tactique, défendre en avançant devient tout à fait logique. Ainsi, une notion forte de l’entraîneur argentin s’harmonise totalement avec les caractéristiques de ses joueurs disponibles.
Mis à part Fernando Llorente, un peu moins en phase avec ce style mais volontaire, le joueur qui perd la balle se doit d’harceler instantanément le nouveau porteur de ballon (voir vidéo). Ses coéquipiers l’imitent en fermant la zone concernée, en marquant étroitement l’adversaire et en étouffant les lignes de passe. La vélocité du changement de statut, l’intelligence tactique et la rigueur des courses suffisent souvent à récupérer le ballon. Sur ce point, Bielsa adopte une posture radicale : peu importe l’adversaire, son pressing est omniprésent (mais surtout efficace sur les côtés). Il faut que l’adversaire réussisse soit à briser la pression, soit à réaliser une séquence de conservation exceptionnelle pour obliger le bloc basque à se replier.
De plus, une fois le ballon regagné à l’adversaire, les Rojiblancos oscillent entre deux attitudes : sécuriser la possession ou foncer en contre-attaque. Dans le premier cas, il s’agit de faire circuler le ballon en latérant, voire en le transférant jusqu’au gardien si nécessaire, afin de permettre à tous les joueurs de se repositionner dans leur secteur. Une fois chacun repositionné, un nouveau ballet de mouvements incessants peut commencer pour déséquilibrer l’équipe adversaire. Cependant, los leones préfèrent souvent exploiter la profondeur et l’état de désorganisation de l’adversaire lorsqu’il perd le ballon après avoir subi le pressing. Dans cette configuration, les latéraux jouent un rôle essentiel pour tirer parti des espaces vacants laissés dans les couloirs. Ils jouissent d’une liberté totale pour se projeter.
Cependant, l’élément clé, le catalyseur des transitions offensives basques est sans conteste Iker Muniain. Mesurant 1,69 m, il s’illustre particulièrement dans ce domaine. Alors qu’il aime dézoner en phase d’attaque placée en se positionnant parfois dans l’axe tel un numéro 10, il agit de la même manière lors des contres. À l’instar de Zidane dans le Real Madrid des Galactiques, il est le joueur cible que tous ses coéquipiers cherchent à toucher pour mener à bien la transition. Souvent présent dans les demi-espaces, il peut progresser balle au pied, dribbler, délivrer la dernière passe ou finir les actions. Il adore se positionner avec Llorente pour gagner en vitesse. Cela fait de lui un atout majeur des Basques.
Quand le gardien adverse joue un dégagement depuis sa surface, ou lorsque l’adversaire parvient à contrôler le ballon dans le camp basque, cela constitue ce que l’on nomme une « défense placée ». Dans ce cadre, courir est primordial : « Je suis un adepte de la création, mais je ne délaisserai jamais les aspects en lien avec la volonté. Courir est un acte volontaire, pas de l’inspiration. Chacun peut courir, créer… Je suis implacable sur le besoin de dépense physique, car cela relève de chacun, pas d’un coup de pouce divin. » Courir, cependant, pas n’importe comment. Lorsque le gardien adverse opte pour une relance courte (tel que le FC Barcelone de Guardiola), l’intelligence des déplacements est visible.
Le bloc est placé haut autant que faire se peut. Les joueurs sont tout d’abord responsabilisés individuellement par rapport à leur vis-à-vis. Quand il s’agit d’accompagner Llorente pour presser les défenseurs centraux, Ander Herrera et Oscar De Marcos s’avancent de manière significative pour soutenir l’avant-centre. Ce dernier joue également un rôle de référent dans l’orientation de l’adversaire. En fonction de ses mouvements, tout le bloc essaie d’appliquer une pression sur le premier mouvement pour piéger l’adversaire contre une ligne.
Par ailleurs, un autre élément clé de la phase défensive est l’importance relative accordée à l’idée de bloc équipe. Les joueurs doivent d’abord suivre leur adversaire, même s’il dézone. Marcelo Bielsa préfère que chacun suive son joueur quitte à laisser des espaces derrière plutôt que de rester statique dans une défense rigide. Pour faire fonctionner le système, la compréhension du rôle de chacun, ainsi qu’une compensation de chaque joueur pour son partenaire sont fondamentales. Si quelqu’un cherche une structure en 4-4-2 parfaitement huilée, avec des lignes compactes, il est en mauvaise posture. Dans cette conception très individuelle de la défense, chaque joueur doit être pleinement impliqué, et la moindre erreur peut avoir des conséquences graves.
La phase de défense placée en résumé vidéo :
Conclusion
Indéniablement impressionnante sur le terrain, cette équipe a tout de même terminé à la dixième place, échouant dans sa quête des titres (Copa del Rey et Ligue Europa) en raison de faiblesses notables. Les adversaires ont compris qu’en exploitant certains points faibles, ils peuvent causer de sérieux dommages à l’Athletic. Effectivement, si los leones privilégient un pressing haut, ils montrent des vulnérabilités lorsque l’adversaire fait de même. Par exemple, soumettre le gardien Iraizoz à pression, notamment lorsqu’il doit utiliser son pied gauche, peut s’avérer fructueux. De plus, une fois le ballon perdu dans la phase de construction ou à la médiane, l’équipe peut souffrir face à des adversaires rapides. Amorebieta et Javi Martinez ne sont pas forcément les plus confortables pour défendre de vastes espaces. Ainsi, la meilleure manière de perturber l’Athletic Bilbao est probablement de ne pas subir, mais d’attaquer leur défense pour punir leurs prises de risques. Sauf si, bien entendu, l’on parle de l’Atlético de Madrid avec un Radamel Falcao dans ses plus grandes années. En finale de la Ligue Europa, malgré un match plutôt convaincant des basques (hormis un manque flagrant de finition), l’international colombien éclaire la rencontre de sa classe, marquant des buts décisifs qui anéantissent le moral de l’équipe de Bielsa. Malgré ces échecs, l’entraîneur argentin reste convaincu : il existe un potentiel immense au sein de cette équipe et la saison 2012-2013 pourrait s’avérer splendide. Malheureusement, elle sera marquée par un échec. Alors, qu’en reste-t-il de ce travail d’entraîneur ? D’abord, des joueurs ayant énormément progressé. Ensuite, des souvenirs inoubliables partagés avec des supporters continuant à murmurer : « A lo loco se vive mejor (on vit mieux dans la folie) ». Enfin, des réflexions nécessaires pour tous les passionnés : « Je ne suis pas d’accord avec l’idée de dissocier gagner et bien jouer (…) Il n’existe pas de chemin plus court et agréable vers la victoire (…). Soutenir que bien jouer et gagner ne sont pas compatibles ne me semble pas juste. (…) Cela devrait être un mantra : bien jouer pour gagner, et non une question avec deux solutions. » Tout cela est amplement suffisant.
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