Riquelme à Villarreal ou comment le n°10 peut-il sublimer un système ?

« Autrefois, les joueurs là-bas n’aspiraient qu’à éviter la relégation, il fallait atteindre 42 ou 43 points le plus rapidement possible pour ne pas trop souffrir. Lorsque je suis arrivé en 2003, Villarreal comptait dans ses rangs des Argentins, des Brésiliens, des Boliviens et des Uruguayens (…) Il régnait une confiance envers les Sud-Américains et notre manière de jouer, ce qui a conduit à la mise en place d’un système qui a donné des résultats. » Les grands joueurs, tels que J.R Riquelme, ont souvent le talent de raconter des histoires bien plus riches qu’elles n’y paraissent. L’équipe de Villarreal, dirigée par Manuel Pellegrini entre 2005 et 2009, n’a pas remporté de trophées majeurs (à l’exception d’une Intertoto en 2004), mais a su laisser son empreinte, tant en Espagne que chez certains aficionados en dehors de la péninsule ibérique. Beautyfootball a tenté d’analyser, à travers le prisme tactique, comment Manuel Pellegrini et les joueurs ont réussi à créer une harmonie autour de ce grand n°10, offrant à ses supporters des moments inoubliables.

N.B. : Si c’est votre première visite sur le site, je vous recommande de lire le chapitre « idée clé », car il est essentiel pour comprendre l’ensemble du site. Vous ne le regretterez pas !

Note au lecteur : Étant donné que notre analyse porte sur des matchs anciens, la qualité des vidéos et donc des images utilisées peut parfois être insuffisante. Merci de votre compréhension. Merci également à footballia.net pour son précieux soutien, sans lequel cela ne serait pas possible.

Composition et animation

Notre évaluation repose principalement sur la saison 2005-2006, focalisée sur la campagne exceptionnelle en Ligue des Champions de Riquelme et de ses coéquipiers. Durant cette saison, Villarreal se présentait en 4-4-2 évolutif. La première déclinaison théorique ressemblait à l’image ci-dessous :

Ce système 4-4-2 est particulièrement judicieux en phase défensive, bien qu’il puisse également être ajusté comme nous le décrirons. En attaque, et lors des transitions, l’équipe se mouvait plutôt en 4-3-1-2 :

Riquelme en phase offensive : celui qui sait, celui qui fait

Posons d’emblée les choses : dans cette équipe de Villarreal désireuse de pratiquer un football actif, tous les joueurs n’avaient pas la même importance ni la même implication en phase offensive comme certaines des meilleures équipes du passé et du présent. En 2005-2006, 11 ans après la fin du règne du grand FC Barcelone de Johan Cruyff où la polyvalence était la norme, le football avait regagné un certain classicisme, où la division des tâches était prédominante. Dans ce contexte, Riquelme n’était pas simplement un élément d’un « système », il « était le système ». Alessio Tacchinardi, ayant joué avec un autre génie, Zinedine Zidane, l’a exprimé clairement : « Nous jouons pour Riquelme tout comme nous jouions pour Zidane à la Juve. Zizou et Román rendent le jeu plus simple. Si vous êtes sous pression, vous leur passez le ballon et tout devient plus facile. » Ainsi, notre focus se portera principalement sur l’individu et les dynamiques qui s’articulent autour de lui.

« Comment exploiter ses qualités les plus marquantes pour être performant en phase offensive ? ». C’est une question que Manuel Pellegrini s’est probablement posée en observant son n°10. Et c’est le cas idéal car Juan Román Riquelme est un joueur à multiples talents. Il émerveille tant le public que ses partenaires par sa maîtrise de la protection du ballon, ce qui est crucial lors des sorties de balle :

  • (Alors que le milieu le plus proche du défenseur central s’écarte pour ouvrir un intervalle, celui-ci reste disponible pour passer à Riquelme hors champ.)
  • (Riquelme, sous la pression de 2 adversaires, fait preuve d’un contrôle précis et attaque la zone laissée libre par l’Inter.)
  • (D’un magnifique extérieur du pied, il trouve Calleja, lancé et seul en pleine course. La sortie de balle est ainsi réussie.)

Pellegrini sait également que sa charnière centrale est peu efficace dans la relance au sol. Malgré les bonnes intentions, les défenseurs relèvent rarement le défi avec le ballon. Riquelme ne perd jamais la sphère, il est donc évident que pour une sortie propre, il faut le solliciter autant que possible. Ainsi, lorsqu’ils le cherchent, Riquelme est fréquemment disponible pour servir de soutien. Dans cette position, le contrarier sans commettre de faute est presque impossible. Par ailleurs, bien qu’il puisse sembler qu’il ne voit pas très bien le terrain, ses prises d’informations avant contrôle lui permettent souvent de savoir quoi faire, quelle zone viser et quel coéquipier chercher. Quand les défenseurs craquent, Villarreal obtient de nombreuses fautes grâce à Riquelme, ce qui permet à l’équipe de remonter.

En réalité, de nombreux ballons sont envoyés directement vers les attaquants ou les joueurs de couloir, ignorants parfois Riquelme. Pour orchestrer le tempo, Riquelme n’hésite pas à décrocher au milieu pour délivrer des passes décisives :

  • (Face à la pression d’Adriano, Arzo se tourne vers Senna, laissé libre, pour relancer le jeu.)
  • (Senna se retourne et offre 2 solutions, dont Riquelme.)
  • (Senna passe à Riquelme, qui se rapproche et se projette ensuite dans un intervalle derrière la ligne de pression. L’objectif est de mettre Riquelme en position de jeu.)

Sa clairvoyance fait souvent la différence, même sur des séquences simples. Tous, joueurs et entraîneur, le laissent évoluer librement. Lorsque le n°8 prend les opérations en main, les attaques deviennent souvent fluides :

  • (Alors que le latéral remonte le ballon, Riquelme se rapproche de lui, prêt à gérer la situation depuis la médiane.)
  • (Les mouvements sont déclenchés; Riquelme finalise son contrôle et le latéral prend son couloir.)
  • (3 joueurs de Villarreal attaquent la ligne défensive d’Arsenal, dont Forlán, qui est servi par Riquelme après s’être démarqué.)

Cette séquence met en avant la liberté accordée au n°10 (qui porte le n°8 en réalité). Ce dernier n’est pas cantonné à son côté, généralement libéré pour permettre au latéral de progresser. Quand il y évolue, c’est pour s’infiltrer et distiller des passes décisives.

Phase défensive et transition : de l’utilité du 10

Peu importe le niveau de compétition, une question cruciale préoccupe souvent les entraîneurs : comment tirer le meilleur parti de la créativité de mon n°10 sans compromettre les aspects défensifs ? Comment l’utiliser lors des transitions ? Ces interrogations n’ont bien sûr pas de solutions universelles, mais nous pouvons tenter de voir ce que fait Manuel Pellegrini, toujours dans un contexte particulier aujourd’hui.

En phase défensive, l’image ci-dessous illustre l’usage de Riquelme en première ligne :

  • (En défense placée, les deux attaquants se positionnent près des défenseurs centraux adverses pour mettre la pression. Les relayeurs, Senna et Sorin, partent de l’axe vers les flancs lors des passes, tandis que Riquelme, entouré, est placé dans l’axe face au milieu le moins créatif de l’Inter, afin de le harceler sans l’étouffer.)

Encore une fois, le schéma 4-3-1-2 est fortement présent en défense. L’idée est simple : en défense individuelle ou mixte, l’entraîneur demande à Riquelme de suivre et de presser le joueur le moins créatif (ou mobile) de l’équipe adverse. Étant souvent positionné dans l’axe en phase offensive, le changement de rôle lors des replis défensifs est tout à fait réalisable.

En cas de redescente de 10 mètres, la formation prend shape d’un 4-4-2 plus étal :

  • (Quand le bloc descend, Riquelme s’incorpore dans le « double pivot » ou s’établit sur un côté. Encore une fois, il n’est pas figé dans une seule position ; son mouvement dépend beaucoup de la situation de jeu, en communication avec ses partenaires.)

Riquelme est contraint d’effectuer des tâches défensives. Manuel Pellegrini ne peut se permettre d’évoluer avec un joueur de moins, d’où l’adaptation nécessaire de son numéro 10 pour qu’il s’investisse à sa manière. Bien qu’il n’endosse pas les efforts physiques d’un ailier classique, il effectue les courses nécessaires : marquer un joueur adverse, fermer une zone par un bon positionnement pour libérer ses coéquipiers au moment opportun, et s’engager mentalement dans cette phase de jeu. Quand il disparaît quelque peu, c’est durant la défense proche de la surface. Dans ces moments, il reste haut, prêt à transformer les récupérations en attaques :

  • (Suite à un centre de l’Inter Milan, le ballon est dégagé par la défense de Villarreal. Riquelme est absent au cœur de la surface, et c’est le début d’une transition rapide.)

La contribution de l’Argentin lors des transitions défensives/attaques est indiscutable, mais qu’en est-il en retour ? Cela mérite d’être analysé, étant donné que le modèle de jeu instauré par Pellegrini et ses hommes repose sur un pressing immédiat après la perte de balle. Comment peut-on utiliser un n°10, peu actif sans ballon, dans cette phase de jeu ?

  • (Le porteur de balle barcelonais tente une relance courte. Cependant, les joueurs de Villarreal demeurent élevés en positionnement pour gêner l’avancée du jeu. Riquelme, positionné entre deux adversaires, sort de sa zone pour s’impliquer dans le pressing.)

Certes, Riquelme n’est pas le plus rapide, mais il s’engage fréquemment dans ce pressing orchestré par Pellegrini. Ce dernier a su ajuster ses discours pour intégrer son n°10 dans le dispositif défensif. Contrairement aux croyances, il n’est pas rare de voir Riquelme directement impliqué dans la récupération lors des périodes 2005-2007, ce qui enrichit la vision du jeu et fait bien écho à ses qualités d’exécution.

Conclusion

L’analyse du jeu de Riquelme au sein du Villarreal de Pellegrini nous apprend de nombreuses leçons. Il faut qu’il jouisse d’une liberté bien encadrée, mais aussi « accordée » par des partenaires prêts à jouer et à s’accorder autour de lui. La présence d’attaquants capables d’évoluer en profondeur ou de servir de soutien est un avantage comprendre la vision d’un numéro 10 avec une qualité de passe remarquable. Enfin, même en évoluant en 4-4-2, il n’est pas impossible de dessiner des lignes de passes efficaces pour un joueur comme Riquelme. En phase défensive, l’observation des matchs démontre l’illégitimité d’un « dogme absolu » dans le football. Ce qui prime, c’est le joueur, le contexte et l’harmonie qui se crée avec son environnement, y compris l’entraîneur. Pendant deux saisons, un Riquelme au sommet de son art a su mener des pressings intenses, tout en se responsabilisant dans ses tâches défensives, permettant à Villarreal de briller jusqu’en demi-finale de la Ligue des champions. Et, peu importe son échec lors de ce fameux penalty contre le grand Arsenal, les supporters se souviennent encore de la magie qu’il a offert à chaque match. Finalement, ce sont ces joueurs-là qui nous ont fait aimer le football !

Pour aller plus loin :

  1. COSMIDIS Raphaël, GARGOV Philippe, KUCHLY Christophe, MOMONT Julien, L’Odyssée du 10 : gloire et déboires du meneur de jeu, chez Solar.
  2. Les numéros de SoFoot suivants sont incroyables pour approfondir : le numéro anniversaire des 10 ans dédié aux numéros 10. Le hors-série qui se penche sur l’Argentine.